jeudi 26 mai 2016

Le quatrième mur, Sorj Chalandon

Note : *****


Présentation de l'éditeur, Grasset :

"L'idée de Samuel était belle et folle : monter l'Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth. Voler deux heures à la guerre, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Puis rassembler ces ennemis sur une scène de fortune, entre cour détruite et jardin saccagé.
Samuel était grec. Juif, aussi. Mon frère en quelque sorte. Un jour, il m'a demandé de participer à cette trêve poétique. Il me l'a fait promettre, à moi, le petit théâtreux de patronage. Et je lui ai dit oui. Je suis allé à Beyrouth le 10 février 1982, main tendue à la paix. Avant que la guerre ne m'offre brutalement la sienne ..." Sorj Chalandon






Lisez un extrait



L'auteur :
Né en 1952 à Tunis, élève au lycée Jean-Moulin de Lyon, cet écrivain journaliste a fait ses débuts en 1973 à Libération où il a été grand reporter de 1980 à 2007.
Lauréat du prix Albert-Londres en 1988 pour ses reportages sur l'Irlande du Nord et sa couverture du procès Klaus Barbie, il travaille au Canard enchaîné depuis 2009.
Son premier roman, Le Petit Bonzi, est paru en 2005, et le suivant, Une promesse, a obtenu le prix Medicis 2006. Pour le troisième, Mon traître, Sorj Chalandon a décroché le prix Joseph-Kessel et pour le cinquième, Retour à Killybegs, le Grand Prix du roman de l'Académie française.

Ma critique :

Le speech : Georges doit tenir la promesse faite à son ami greco-juif, se rendre à Beyrouth au centre du conflit libanais pour donner une bulle d'oxygène à cette guerre en mettant en scène Antigone d'Anouilh. Le défi est de taille, associer un Créon chrétien face à une Antigone palestinienne, promise à un Druze et entourés d'acteurs chiites, maronites, ... Idée idéaliste, utopique mais qui, malgré tout prend tournure jusqu'au bombardement lors de leur répétition.

Le quatrième mur est cet espace imaginaire entre les spectateurs et les comédiens : on regarde ce qui se passe sans pouvoir y intervenir. Notre narrateur Georges va se laisser dépasser par son rôle de metteur en scène et acteur. Comment monter une pièce de de théâtre au cœur d'un conflit multi-religieux et culturels sans franchir ce quatrième mur ?

Au départ, on se demande "Pourquoi Antigone ?" et au fur et à mesure on se dit "mais bien sûr Antigone ! Aucune autre pièce qu'Antigone !". Pour ses idéaux, pour son orgueil, pour cette quête de paix quitte à passer par des sacrifices.
Ce livre est une tragédie, au sens théâtral, tout comme Antigone. Chaque chapitre représente un personnage de cette histoire et ainsi, tous ont un rôle important dans le défi de Georges mais également dans sa construction personnelle et l'histoire qui se joue en lui. et comme toute tragédie, le destin est décidé à l'avance, il y a des cris, des pleurs, des idéologies et amours à défense et inévitablement la mort.

Ce livre est un bouleversement émotionnel, d'autant plus que cette zone et les intérêts sont toujours et encore sous tension (Liban, Syrie, Palestine, Israel...).

On croise les sentiments d'amitié, de fraternité, d'amour, d'honneur, de patrie, d'idéalisme et bien évidemment, les massacres, les viols, les tortures, les vies brisées physiquement et mentalement.

Au départ, je me disais que j'étais loin de connaitre tous les enjeux de cette guerre: qui est légitime, qui ne l'est pas ? qui est le bourreau, qui est la victime ? Au final, il n'y a pas de bons ni de méchants, il n'y a que l'appartenance à sa Terre et la défendre ou la conquérir, coûte que coûte.

Personne n'apprend du chagrin, des douleurs. La guerre entraîne la guerre.

Dans Antigone, notre tragédienne dit que le plus difficile est de dire NON, alors l'histoire se répète encore et encore, avec d'autres protagonistes, d'autres lieux, ...


Quelques citations relevées :

Je suis le seul à briser le quatrième mur. Le seul à accepter le caractère fictionnel de mon rôle. Le seul à rompre l'illusion.
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Après Anouilh revisité par les chrétiens, Anouilh était transfiguré par les chiites. Créon, vieillard fatigué par le guerre, qui ne veut que la paix pour son peuple.
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Il m'a observé. J'ai secoué la tête. Non, je ne pleurais pas. Je n'avais plus de larmes. Il m'a dit qu'il fallait en garder un peu pour la vie. Que j'avais droit à la peur, à la colère, à la tristesse.
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J'étais venu au monde parce qu'une femme avait aimé un homme. Elle est repartie sans avoir eu le temps de m'aimer. J'étais une bouche en trop, je suis devenu un cœur en plus.
                                 
Fiche technique :

Editeur: Grasset               Date d'édition : Aout 2013                 336 pages




Pour aller plus loin :

Voir Antigone, ci-dessus, pièce mise en scène par N. Biançon, en 2003

Lire Antigone - Anouilh

Présentation de Sorj Chalandon

Quelques cartes pour situer l'action

 

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