lundi 29 février 2016

Vernon Subutex, Virginie Despentes

Note : *****

Récompenses :
Prix Anaïs-Nin, 2015
Prix de Landerneau, 2015
Prix La Coupole, 2015

Présentation de l'éditeur, Grasset :

QUI EST VERNON SUBUTEX ?

Une légende urbaine.
Un ange déchu.
Un disparu qui ne cesse de ressurgir.
Le détenteur d’un secret.
Le dernier témoin d’un monde disparu.
L’ultime visage de notre comédie inhumaine.
Notre fantôme à tous.

LE RETOUR DE VIRGINIE DESPENTES

L'auteur :

Virginie Despentes  écri­vain et réali­sa­trice française, est née à Nancy le 13 juin 1969. Elle est l’auteur, notamment, de Baise-moi (1993, adapté au cinéma et coréalisé avec Coralie Trinh Thi), Les jolies choses (1998), Teen Spirit (2002), Bye bye Blondie (2004, adapté au cinéma par l’auteur), King Kong Théorie (2006), Apocalypse bébé (2010, prix Renaudot).



Ma critique :

Vernon Subutex, est un ancien disquaire, plutôt rock punk, alternatif qui se retrouve à la rue suite à crise du disque. Un copain qui est devenu chanteur reconnu, adulé et fortuné lui paie son loyer dès qu'il fait appel à lui. Lorsque celui-ci meurt, Vernon est expulsé et commence la quête d'un canapé à travers Paris. C'est à travers ce périple que l'on rencontre tout un tas de personnages, qui est en pleine "gueule de bois" des années 80 : les illusions politiques, les espoirs déçus, les conséquences de vies dans l'excès.

Et c'est justement dans la description de ses personnages qu'elle excelle parce qu'elle aurait pu se perdre et nous perdre au milieu de tout ce monde mais elle associe un passé, un univers, une personnalité différente et singulière à chacun d'eux qu'on les comprend, qu'on les assimile. 

J'ai également apprécié le coté "vrai", populaire des situations où l'on sent que l'artiste n'est pas dans l'imagination totale mais s'inspire concrètement du monde qui l'entoure : les références très actuelles aux programmes télé, aux sites Internet, à l'actualité (morose) : la solitude (malgré les centaines d'amis Facebook ou twittos), les aléas de la vie, la pauvreté, la violence, l'islamisation, ...

En revanche, je me suis sentie en décalage de la "cible" du livre puisque trop ancré dans le microcosme "artistes parisiens" de l’univers rock, porno, cinéma, musique, ...Généralement, on se rapproche d'un personnage ou de certains traits de caractère de certains d'entre eux, là, ... euh... c'était impossible pour moi, soit on les plaint, soit on les déteste. Ils sont tous si torturés, si pleins de vices, d'angoisses, de névroses que le livre par moment en est oppressant.

Concernant le style, elle a un ton rageur, cynique pour dénoncer ce monde destructeur, castrateur d'illusions, de liberté de pensée mais l'écriture est un peu trop trash pour moi, notamment dans les propos racistes du réalisateur raté, dans les coups du mari violent, la misogynie du trader. 

On aimerait y voir une lumière d'espoir, de la fraternité, de la solidarité sincère et bienveillante au fond de ce tunnel de nostalgie, de déceptions (au moins un personnage) ... peut-être dans le 2ème ??


Quelques citations relevées :

On dit des fans qu'ils ne sont pas les mieux placés pour parler des artistes, mais Vernon au contraire pensait qu'ils sont les seuls capables de rester debout deux nuits d'affilée pour être sûrs de ne se tromper sur aucune date de tournée en province.

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Et à sa façon de détourner la tête, tout était dit : la rébellion contre l'autorité, ça se faisait peut-être encore quand toi t'étais jeune, il y a longtemps. On voit où ça vous a menés. Ma génération, on préfère s'y prendre autrement.
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Dans les années 80, (...) c'était différent. Le rapport aux médias n'était pas exclusivement constitué de défiance et d'hostilité.(...). On ne se racontait pas n'importe quoi, furieux d'être anonyme, condamné à sortir la connerie la plus lapidaire possible, renvoyé au silence assourdissant de sa propre impuissance (...). Il ouvre des journaux qu'il aurait jamais achetés, à l'époque. Ça lui rentre dans le cerveau, en tentacules empoisonnée, et ça ne génère aucune analyse, juste de la fureur.
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Quand on se retrouve à côté des pestiférés, une fracture nette sépare votre monde de celui des épargnés. On ne veut ni charité, ni empathie. De chaque côté des frontières, les mots n'ont plus le même sens.
                                     
Fiche technique :

Editeur: Grasset                 Date d'édition : Janvier 2015     400 pages


Pour aller plus loin :

Interview de Virginie Despentes

samedi 20 février 2016

L'homme de ma vie, Yann Queffélec

Note : *****



Présentation de l'éditeur, Editions Guérin :


" Papa ?... Tu ne vas pas y croire, papa. 
- Je sais, la femme de ménage m’a prévenu. 
- Je viens d’acheter un poisson rouge.
- ...
- En fait, papa, c’est moi qui ai le Prix Goncourt cette année. 
- J’ai du boulot, p’tit vieux, raccroche.
- C’est pas vrai pour le poisson.
- ...
- C’est juste vrai pour le Goncourt.
- La femme de ménage m’a ...
- ... t’a prévenu, ça va! 
Et soudain, j’en ai marre de cette ombre confinée toute grouillante d’acariens à tête de mort, du souffle de papa, du souvenir de maman, je n’ai pas assez de mots pour m’excuser du temps que je lui fais perdre, à mon père, avec tout ça, avec moi, ma vie, au revoir papa, désolé, pardon, merci…. 


Et ce fut la première et la dernière fois où, sans même raccrocher, pris d’une rage de perdition, je mis en pièces le téléphone encrassé d’une cabine publique comme s’il y allait de ma vie.
Le Goncourt ! J’étais lauréat du Goncourt ! La honte ! Il ne me le pardonnerait jamais..."

Dans ce récit drôle et bouleversant, l’auteur des Noces Barbares - Prix Goncourt 1985 - met à nu les secrets et les joies d’une enfance tourmentée, brossant le portrait d’un père qu’il aimait, redoutait, défiait - l’écrivain Henri Queffélec, l’homme de sa vie.




Lisez un extrait




L'auteur :
Yann Queffélec est né le 4 septembre 1949 à Paris. Il est le fils de l’écrivain breton Henri Quéffelec et le frère de la pianiste Anne Quéffelec.
Il vit à Paris tout en gardant de fortes attaches en Bretagne où il a pratiqué la voile notamment avec Eric Tabarly.
Il s'engage dans l’écriture en 1981, en tant que critique musical, avec un essai sur le compositeur Belà Bartok. En 1985, il publie son deuxième roman, Les Noces barbares qui connaît un succès public et obtient le prix Goncourt. 
Il continue de publier de manière régulière des romans, des recueils de poésie, des chansons. 
En 1998, il anime sur internet la création d'un roman interactif Trente jours à tuer.


Il a été chroniqueur pour l'émission de France 2 : Pourquoi les manchots n'ont-ils pas froid aux pieds ?.
En 2012, le Prix Yann Quéffelec est créé par Les Editions Les Nouveaux Auteurs.


Ma critique :

Qu'il est difficile de parler de son père ! Encore plus lorsque celui-ci à tendance à vous humilier, vous renier ... Je dis tendance parce qu'il y a tout de même un jeu de va-et-vient entre eux deux, notamment après le décès de la maman, qui est au cœur du conflit.

Yann Queffelec a décidé de parler de l'amour pour son père, après avoir évoqué celui de sa mère et celui de la Bretagne. La gestation a été plus longue parce que ambivalente, comme il l'explique dans son avant-propos (qui est un des plus abouti que j'ai lu, soit dit en passant ...) :

"Au tournant du siècle dernier, j'eus envie d'écrire un bouquin sur Henri Queffelec, l'auteur de mes jours disparu le 13 janvier 1992. Un hommage? Oui et non. Un portrait-robot mêlant père et fils sur fond de brouhaha familial pas toujours de bon aloi. Je dus renoncer après quelques paragraphes à hue et à dia. Comme disait Gertrude Stein : si je possédais le sirop, il refusait de couler. De plus, j'ignorais quel était mon héros : "mon père" ou "papa" ? Incapable de choisir entre les deux sosies, craignant le syndrome de Buridan, je renvoyai cette écriture à d'autres calendes. On n'est jamais déçu, avec l'écriture. Quand elle a faim, elle ne cesse de vous mordiller comme un chiot rageur, de japper sur la page : écris-moi ! écris-moi ! Repoussez-la, elle va faire un tour et revient avec un appétit redoublé. Elle est revenue ces jours-ci, pour ne rien vous cacher, elle s'en fiche désormais qu'on l'appelle "mon père" ou "papa". C'est juste qu'elle n'en peut plus d'avoir faim. C'est elle ou moi."

Ce besoin d'écrire sur son père était aussi vital que celui d'être aimé par lui. Ainsi, toute sa vie, il a cherché à l'impressionner pour qu'il le regarde.
C'est ce qui dur, tout au long de ce livre, de voir cette demande de reconnaissance qui n'aboutit pas (ou si peu). Dans le regard (qui hante toujours l'auteur), les gestes, il recherchait cet amour. Alors, il ira sur son terrain, il fera écrivain comme lui, mais, il n'en fallait pas plus pour aiguiser encore plus la jalousie de son père. Parce que bien sûr, il recherche la reconnaissance de son père mais surtout il veut impressionner sa mère, on reste dans un rapport très œdipien jusqu'au décès de cette mère adulée, adorée, partagée.

Et après ? après, les rapports sont difficiles : Yann part sur les mers, où les rapports sont tout aussi tumultueux mais là, c'est lui qui tient les rênes, enfin le gouvernail plutôt ... jusqu'à la révélation : il doit assouvir sa seconde passion, l'écriture.

2ème livre : "Les noces barbares", succès, prix Goncourt, le Graal de l'écrivain ! Avec ça, il va être fier le papa ... et encore râté ! Ni content, ni furieux ... la pire des réactions : l'indifférence
"- Papa ?... Tu ne vas pas y croire, papa.
- Je sais, la femme de ménage m'a prévenu.
- Je viens d'acheter un poisson rouge.
- ...
- En fait, papa, c'est moi qui ai le prix Goncourt cette année.
- J'ai du boulot, p'tit vieux, raccroche."

Il y aura séparation puis réconciliation et entente cordiale ...

Encore une fois, Yann Queffélec a fait un très beau roman, une biographie, qui se termine par le CV de son père (original !). On ressent les émotions face au père, à la mère (même si elle est moins présente dans ce livre), à la Bretagne et à la mer, avec une plume toujours si riche de vocabulaire, de référence et d'humour ; humour grinçant qu'on lui connait bien.

Je dirais pour terminer et qui ressort de cette lecture : chacun aime à sa manière, on voudrait avoir toujours plus de preuves d'attention, d'amour de ses parents. Mais lorsqu'on a grandit "à la bretonne", qu'il est difficile de communiquer avec le cœur !



Quelques citations relevées :

A quoi bon les reproches sous les soleils de minuit? "Papa, tu m'as fait peur" "P'tit vieux, tu m'as perdu mes dents de requin": exit la mémoire écœurée des impardonnables griefs de l'enfance, tout ça révolu, tout ça bon vieux temps absorbé dans la souffrance de maman.

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Étrange, certains jours, comme on peut s'attacher à l'homme qui vous reproche d'être né.                                   
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 Mauriac a bien raison d'épingler le mutisme imbécile des familles ravagées par le malentendu.



Fiche technique :

Editeur: Editions Guérin                 Date d'édition : Octobre 2015      270 pages


Pour aller plus loin :

Yann Quéffélec parle de son roman et son rapport au père

Une interview réalisée par Ardisson de Yann et son père