jeudi 28 janvier 2016

Danser les ombres, Laurent Gaudé

Note : *****



Présentation de l'éditeur, Actes Sud :


En ce matin de janvier, la jeune Lucine arrive de Jacmel à Port-au-Prince pour y annoncer un décès. Très vite, dans cette ville où elle a connu les heures glorieuses et sombres des manifestations étudiantes quelques années plus tôt, elle sait qu’elle ne partira plus, qu’elle est revenue construire ici l’avenir qui l’attendait.
Hébergée dans une ancienne maison close, elle fait la connaissance d’un groupe d’amis qui se réunit chaque semaine pour de longues parties de dominos. Dans la cour sous les arbres, dans la douceur du temps tranquille, quelque chose frémit qui pourrait être le bonheur, qui donne l’envie d’aimer et d’accomplir sa vie. Mais, le lendemain, la terre qui tremble redistribue les cartes de toute existence…
Pour rendre hommage à Haïti, l’île des hommes libres, Danser les ombres tisse un lien entre le passé et l’instant, les ombres et les vivants, les corps et les âmes. D’une plume tendre et fervente, Laurent Gaudé trace au milieu des décombres une cartographie de la fraternité, qui seule peut sauver les hommes de la peur et les morts de l’oubli.




Lisez les 1ères pages




L'auteur :
Romancier, nouvelliste et dramaturge né en 1972, Laurent Gaudé publie son œuvre, traduite dans le monde entier, chez Actes Sud.

Il est notamment l’auteur de Cris (2001), La mort du roi Tsongor (2002, prix Goncourt des lycéens 2002, prix des Libraires 2003), Le soleil des Scorta (2004, prix Goncourt 2004, prix Jean-Giono 2004), Eldorado (2006), Dans la nuit Mozambique (2007), La porte des Enfers (2008), Ouragan (2010), Les oliviers du Négus (2011), Pour seul cortège (2012) et Danser les ombres (2015).


Ma critique :

Lucine, jeune haïtienne qui revient à Port-au-Prince, après 5 ans d'absence où elle a sacrifié ses luttes, ses ambitions politiques, personnelles pour s'occuper de sa sœur Nine, handicapée mentale et enceinte.
Lucine revient pour demander assistance financière au père de ce 1er bébé mais elle sait qu'elle ne repartira, que Port-au-Prince est sa ville, où elle est en harmonie, en symbiose. Même si elle laisse la charge de ses deux neveux à leur autre sœur restée à Jacmel, elle n'éprouve pas de remords, elle veut se sentir exister.
On suit Lucine qui va renouer avec son passé, à l'époque elle avait perdu sa meilleure amie, battue pour ses convictions politiques et va avoir le coup de foudre pour son frère, Saul. Un des personnages centraux du livre. Effondré par la mort de sa sœur qui lui avait permis la reconnaissance de la famille, lui, le bâtard, il est parti s'exiler à Cuba et est revenu pour poursuivre sa mission, aider, soigner les plus démunis.

Il prend alors Lucine sous son aile et l'installe dans un ancien bordel, appelé "Fessou" où elle côtoiera au moins le temps d'une soirée, un melting-pot d'individus. Prophète Coicou, l'ancien celui a connu la dictature Duvalier, Pabava et Facteur Sénèque les amis inséparables qui ont été torturés sous Duvalier fils et les plus jeunes, Jasmin Lajoie, dit "Mangecul" (le séducteur de ces dames) et Bourik, le robuste, le volontaire.
Dans les hauteurs bourgeoises, on fait la connaissance de la petite Lily, mourante et qui est revenu de Miami pour mourir dans son pays. Elle apportera beaucoup au lecteur concernant le clivage blancs et noirs, bourgeois et pauvres, l'amour du pays et l'eldorado américain.
Et au milieu de ce monde, un fantôme, vivant ou si peu, Firmin... qui survit, erre dans son taxi. Il est hanté ses démons ...

Et arrive ce terrible jour, ces 35 secondes qui vont changer le pays, ces personnages, basculant de vie à trépas ... on perçoit ses corps mutilés, estropiés, hagards, mourants, mais par dessus tout on voit la force de ce peuple qui sans réfléchir, sans se tourner vers leur gouvernement ou l'extérieur, fait preuve d'une générosité, d'une solidarité, d'une fraternité exemplaire. Qui en ressortira vivant ? Même si personne ne ressortira indemne, et surtout pas le lecteur.

Lorsqu'on ressort d'une lecture si poétique, si voluptueuse comme l'ambiance qu'il décrit, les paysages, les corps, les esprits, ...il est difficile de commenter. Tout est bien fade et très en deçà de notre ressenti.

C'est un roman humaniste où dès le départ on est emporté à plus de 7000 kms, on est happé par la circulation, les cris des vendeurs, on suffoque dans la chaleur oppressante, on frissonne lors des combats de coqs, on participe aux parties de dominos, aux discours philosophiques, politiques et on est abasourdi par la violence du drame, on espère, on doute, et on reprend espoir tout comme eux.

Il y a une phrase omniprésence tout au long du roman qui résume à elle seule le livre :
"C'était magnifique ..."


Quelques citations relevées :(difficile de faire un choix)

(...)non, qu'il s'use les poings sur son visage et ses côtes, il n'empêchera rien, le bonheur est là, d'être libre, avec d'autres hommes libres, à cracher sur Duvalier haut et fort s'ils le veulent, à boire du rhum en chantant de vieilles chansons d'opposants, le bonheur d'avoir construit une vie malgré la cave sans fenêtre (...)

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 - J'y croirais volontiers à vos histoires d'instants, s'il n'y avait pas la mémoire ...
Les deux compères se turent, surpris par l'argument de leur ami. Le facteur se hâta de poursuivre.
- L'instant, d'accord. Si nous étions des êtres sans aucun souvenir, alors, oui. Va pour le bonheur comme une succession d'états de plaisir, de douceur. Mais il y a la mémoire, mes amis. Pourquoi sommes-nous dotés de mémoire si nous sommes voués à l'instant?                                        
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 Est-il possible que l'urgence vous débarrasse de la faculté d'être homme? Qu'il y ait dans l'action face à la souffrance quelque chose de vif, de concentré qui vous soulage des tourments de l'inutilité et ressemble, une fois la journée passée, non pas au bonheur mais à une sorte de satisfaction parce qu'on a fait peu, mais de toutes ses forces ?
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 Suffit les morts. Vous voulez les garder près de vous parce que vous avez peur du deuil. Mais les morts ne peuvent rester ici simplement pour éviter aux vivants de pleurer. 


Fiche technique :

Editeur: Actes Sud                 Date d'édition : Janvier 2015      250 pages


Pour aller plus loin :



Sur ce lien, vous pourrez suivre les itinéraires de nos personnages, superbe idée :

Géolocalisation des lieux du livre

 Le quartier coloré de Jalousie


et une vue de Port-au-Prince


Les dégâts du tremblement de terre


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